L’intelligence artificielle (IA) suscite beaucoup d’inquiétudes et son impact se fait déjà ressentir dans le domaine de l’édition. Ce phénomène ne résulte pas seulement des choix des éditeurs, mais également de nombreux auteurs. On estime que l’IA est présente dans environ trois éditions sur dix, que ce soit dans le contenu du texte, les illustrations ou même la couverture. Pour l’instant, cela affecte davantage le monde de l’autoédition que l’édition traditionnelle, ce qui est compréhensible compte tenu du nombre croissant d’ouvrages autoédités. Les graphistes des agences publicitaires sont également touchés, car leur direction exige de plus en plus l’utilisation de l’IA. À l’origine, cela était destiné à obtenir une représentation “rapide” d’une idée, mais il arrive de plus en plus souvent que le résultat de cette “expérimentation” devienne le choix final.
Dans le domaine de l’édition jeunesse, nous constatons une augmentation des propositions d’auteurs uniques. Ces auteurs font désormais le travail d’illustration eux-mêmes en utilisant Internet, ce qui donne parfois un résultat satisfaisant, mais souvent aléatoire. L’auteur est le principal bénéficiaire de cette situation, car il ne partage pas ses droits d’auteur avec un autre illustrateur, à condition qu’il parvienne à réaliser des ventes. Les éditeurs de livres se retrouvent également dans une situation similaire. Les couvertures réalisées avec l’aide de l’IA sont de plus en plus nombreuses lors des réunions de sélection, et elles sont souvent créées par les attachés de presse qui, depuis de nombreuses années, doivent s’occuper de plusieurs tâches en même temps (lecture, corrections, couverture, puis seulement contact avec la presse). Il est donc plus facile et moins coûteux d’utiliser une réalisation interne plutôt que de passer commande à un illustrateur indépendant.
Cependant, même si le métier d’illustrateur est peut-être en train de vivre ses dernières heures, il sera remplacé par des professionnels de l’IA. Pour l’instant, l’IA n’est pas encore capable de produire un dessin entièrement seule ; il faut lui fournir des indications aussi précises que possible, ce qui nécessite de l’imagination et une connaissance approfondie du texte. Nous pouvons parier que les premiers professionnels du futur seront les illustrateurs d’aujourd’hui.
Certains auteurs dénoncent l’utilisation de l’IA en avançant qu’il s’agit de plagiat. Malheureusement pour eux, à ce jour, aucune juridiction n’a pris position sur cette question vis-à-vis de l’IA. Même le journal “Le Time” a récemment fait marche arrière et a conclu des contrats avec les plus grands acteurs de l’IA. Les grandes structures s’entendent entre elles et abandonnent les “petites mains”. Depuis octobre dernier, nous constatons une baisse de 50% des commandes, ce qui laisse de nombreux illustrateurs sans travail du jour au lendemain. Malheureusement, en tant qu’indépendants, ils sont impuissants face à cette situation. Ils crient au vol de leurs travaux, mais ils sont les premiers à utiliser les caisses automatiques des supermarchés sans se soucier des caissières qui ont également perdu leur emploi. C’est tout le monde du travail qui change, pas nécessairement pour le mieux. De nombreuses professions sont mises sur la touche, tandis que de nouvelles émergent. La différence majeure réside dans la rapidité croissante du changement, et le temps que la justice prenne position, il sera déjà trop tard.
Pourtant, des possibilités de réaction existent. Par exemple, les auteurs peuvent refuser de travailler avec des éditeurs qui acceptent l’utilisation de l’IA. Cependant, cela n’est possible que si ces auteurs ont le choix entre plusieurs contrats, ce qui est devenu pratiquement mission impossible. Comme la nature a horreur du vide, il est évident que les éditeurs trouveront 10 dessinateurs courageux qui accepteront, par nécessité, de travailler pour subsister, tandis qu’un seul refusera. La photographie a remplacé le tableau, le cinéma parlant a supplanté le cinéma muet, l’ordinateur a remplacé la machine à écrire, et maintenant l’IA commence à remplacer l’homme.